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En ces temps de la rentabilité érigée en valeur, tout, du familier à la pression sociale, nous contraint à presser le pas. La langue aussi peut sembler souffrir d’une surmédiatisation, elle évolue, se perd pour certains, (lol), et doit se soumettre à une vitesse de lecture accrue, donc un temps de lecture réduit, paraît-il. L’outil numérique et le webspace sont-ils responsables de cette enflure? Certes oui, mais dans le même temps, la liberté qu’ils proposent, les possibilités de diffusion illimitées sont peut-être à conquérir, précisément comme un nouvel espace, un nouvel habitat où le langage et l’expression seraient à préserver comme un bien, précieux, c’est-à-dire gratuit et d’une grande valeur.
Le Sofa revendique cette fonction d’habitat, de lieu où la parole, le texte (dans toutes ses dimensions, scripturales, visuelles, sonores…) s’abrite, s’échange, se travaille, se construit en pensée, suivant deux axes : l’un, plus expérimental développe une dimension de laboratoire de recherche; l’autre, politique, en ce sens que la revue s’empare de son droit de parole dans la cité, exerce librement son regard critique sur le monde.
La modernité engendre une accélération de la circulation des idées, et la crainte, debordienne, d’une individualisation outrancière, d’une division. L’outil numérique porte en lui ces peurs, alors, à ses utilisateurs d’aujourd’hui d’en faire un facteur de cohésion, où la contradiction n’est pas la séparation. Les banlieues s’embrasent en novembre, les étudiants défilent en mars, c’est dans l’entre deux que le Sofa est né, consciemment au hasard. Quand la prise de parole aujourd’hui est une oppression ou une réponse violente à cette oppression, je me plais à croire que quelques-uns d’entre nous sont légitimement acteurs, dans le travail qu’ils font avec leur outil, la langue. Le respect passe avant tout dans le signe verbal, mais s’il est un outil de formation, il peut devenir instrument de soumission et exercer une forme de pouvoir de violence. Il est urgent aujourd’hui, particulièrement, de préserver des lieux de paroles, de lire et de travailler les défaillances d’un langage, reflets du dysfonctionnement social, d’explorer ses possibilités, son patrimoine aussi, dans un mouvement d’élaboration sociale, quand une certaine débâcle affecte la pensée politique.
L’espace de la revue est celui dans lequel on déambule, où la dérive produit des imaginaires, sans contrainte, il devient alors le lieu où la liberté accompagne un sens critique et éthique aigu (ceci étant un véritable défi), si le brio stylistique contient parfois des faux arguments ou la prose lisse des idées profondément à débattre…Cet espace est alors celui où cohabitent des textes mais aussi des personnes. Voilà un dernier point primordial : dans son principe, une revue se doit, pour moi, d’être créatrice de lien social. Ainsi, les différents contributeurs proviennent d’horizons très différents et balaient les champs de la recherche universitaire, de la création littéraire, de l’histoire des idées, mais tous ont un réel désir d’exigence, et de fortes convictions ; ils travaillent à la circulation de la parole, dans un souci de la préserver, la faire bouger, évoluer. Faire bouger la langue et les gens.
Un grand merci à tous ceux qui, de près ou de plus loin, ont bien voulu partager cette aventure.


S. D.