ENTRETIEN AVEC ANNE - JAMES CHATON

Par Sophie Dubois

Anne-James Chaton est philosophe et poète sonore, il vit à Montpellier. Il a créé le festival de poésie et musique improvisée Sonorités. Il a donné une centaine de lectures en France et à l’étranger. Il a également engagé des projets avec des musiciens et des plasticiens. En 2003 et 2004, il a effectué la première partie de la tournée française du groupe The Ex. Il a récemment écrit des textes pour le groupe Innocent X. Prochaine lecture : le 21 avril 2006, 20h au Centre Chorégraphique National de Montpellier.


S.D. Dans ta pratique de l’écriture, tu réalises des objets de langage abstraits en copiant / collant des traces de l’écrit le plus quotidien, jusqu’à réaliser des litanies que la critique interprète comme un travail d’archivage de traces, (je cite) "des résidus, reflets impitoyables d’une époque" où les mots "se chargent d’un contenu politique qu’on ne leur soupçonne pas ". Toi-même, dans un texte, jusqu’au cou évoque la question qu'il manquerait " à la jeune écriture les bases d’une économie politique ". Qu’entends-tu par ce terme de ‘politique’ et te définirais-tu comme un écrivain engagé ?

A.J.C. Cela appelle plusieurs réponses. La première à mon sens c’est que ce n’est pas si abstrait que ça. J’ai plutôt l’impression d’écrire des objets très concrets, notamment parce que j’utilise des écritures qui sont extrêmement quotidiennes, concrètes, très réalistes, très objectives.
Le second point que je relève au sujet du texte jusqu’au cou, c’est que c’est un texte particulier. Il m’a été commandé par Fabrice Bothereau qui coordonnait un numéro de Fusées qui tournait autour d’une interrogation à certains écrivains, et la forme même qu’ils avaient choisi d’interrogation, était une mise en abyme de tout ce qui pouvait s’écrire aujourd’hui, à partir notamment de la génération TXT, qui eux, auraient eu à la fois une prise de position théorique et politique, ce qui aujourd’hui reste encore en débat. Donc, j'ai écrit une réponse assez nerveuse à Bothereau en le bottant en touche parce que je trouvais que sa façon de poser la question n’était pas du tout juste. Ce que je dis dans ce texte-là, c’est qu’il y a un appel d’air qu’essaient de provoquer certains auteurs qui jugent que la jeune génération n’aurait pas de pensée, sans imaginer un seul instant que la réflexion, qu’elle soit politique ou qu’elle soit sur la littérature elle-même, pouvait se placer autrement que dans des textes à factures vraiment théoriques ; c’est-à-dire qu’il y a un moment où certaines écritures portent par elles-mêmes, et sans dissocier les formes, des éléments de pensée, et c’est là, la grande discussion avec les anciens de TXT…Est-ce qu’il faut des formes de pensée ‘dures’ en tant que telles, est-ce qu’on peut les acoller ou pas avec des formes de création ?….

S.D. On rejoint, il me semble, le débat dans l’art contemporain, à savoir, une œuvre est-elle une œuvre en soi ? Y a-t-il une nécessité de la théoriser ?

A.J.C. Oui, c’était le sens de ma réponse…Ma réponse était de dire qu’on ne pouvait pas sommer les jeunes écrivains de ne pas avoir une pensée qui s’énonce dans les formes que désire un temps qui n’est plus le temps d’aujourd’hui. Aujourd’hui les formes de pensée peuvent s’immiscer dans le corps littéraire, ou le corps social plus généralement, sans pour autant emprunter les formes du discours telles qu’elles étaient en 70 ou en 80. Ce n’est pas parce qu’on ne rencontre pas de formes théoriques achevées que ça signifie qu’il n’y a pas de pensée.

S.D. Te définis-tu comme un écrivain engagé ?

A.J.C. J’ai écrit un livre sur Marx (L'effacé, Capitalisme et effacement, sens&tonka, 2005. NDLR), je suis forcément engagé. Je le suis en tant qu’individu. Mon écriture, je ne la considère pas comme une écriture engagée ou militante parce que je trouve que ça en réduit le spectre.
On peut la lire de cette façon-là, mais moi je travaille sur l’écriture, je m’interroge sur ce qu’est l’écriture. On peut y percevoir quelque chose d’assez engagé…Mais je crois qu’une écriture peut être engagée sans être militante, dire d’une écriture qu’elle est spécifiquement militante, c’est l’enfermer….

S.D. C’est réducteur ?

A.J.C. C’est énormément réducteur, je pense que le militantisme a d’autres outils ; ça peut être à côté, ça peut fonctionner ensemble, comme dans une revue. C’est le cas de nombreuses revues que j’ai dirigées. Une revue peut à la fois contenir des textes engagés, des textes théoriques, des textes de création, mais vouloir qu’un texte de création soit immédiatement militant c’est passer à côté de ce que le texte peut faire. Le texte peut être considéré militant dans le déplacement qu’il opère sur le langage. A mon avis, la littérature, elle est là, elle n’est pas militante, mais elle est engagée dans cette façon qu’elle a de faire travailler la langue et donc, de faire travailler notre façon d’être ensemble, d’envisager des parlers, des situations, mais immédiatement militante, ça me paraît réducteur.

S.D. Dans son texte Théorie actuelle, Olivier Quintyn écrit : "L’écriture politique actuelle pourrait être (…) une méta-énonciation critique qui exhiberait, derrière l’apparente neutralité objective des énoncés politiques, publicitaires etc., leur statut de mots d’ordre sous-jacent. Il n’y a pas de système de la langue, il n’y a qu’un agencement de mots d’ordre. (…) J’appelle poésie la tentative d’établir un méta-langage épistémologiquement critique des langages contemporains en tant qu’ils sont vecteurs d’idéologie". Te reconnais-tu dans cette définition de la poésie ? Ensuite, est-ce que dans ton travail surgiraient des mots d’ordre politiques ou une dénonciation d’un état de société ?

A.J.C. Non, je reviendrais à cette idée que quand un texte poétique commence à fonctionner par mots d’ordre, on tombe dans une langue qui serait fasciste ; ça voudrait dire que dans un texte poétique, dans ses soubassements, il y aurait un certain nombre d’énoncés, de mots d’ordre subliminaux qui diraient quelque chose sur le langage poétique. Ce serait retomber dans une certaine forme de langue fasciste parce que ce serait imposer au lectorat une grille d’analyse dont il n’aurait pas conscience. Il aurait d’abord un rapport de surface au texte qui serait un rapport, soit de plaisir, soit d’intellection, soit de déplaisir, et sans s’en rendre compte, il percevrait un certain nombre d’énoncés sans qu’il le sache…Olivier, lui serait plutôt dans une logique de ‘dégoupillage’, à la fois de monstration et d’articulation de ces méta-discours et la façon dont, lui, les met en scène dans ses actions et dans ses textes, quand il les fait se ‘râper’. Il est aussi dans cette idée qu’il y a des formes de langages dominants et que l’un des éléments constitutifs de la poésie c’est d’inventer des langages… minoritaires et du coup de casser le langage dominant. Il s’agit toujours d’inventer des langues pour se libérer d’une langue commune, dans le travail de la poésie en général.

S.D. The Ex, (que la TAF a reçu le 14 février dernier lors d’un concert pendant lequel tu es intervenu) est un groupe connu pour sa ligne d’engagement, son indépendance sans compromis, le groupe s’est constitué un public qui se reconnaît dans la pratique liée d’une musique mais aussi d’une pensée. Ta collaboration avec le groupe est - elle née d’une connivence avec cette ligne de conduite ? Comment vous êtes-vous choisis ?

A.J.C. J’écoutais The Ex quand j’avais 15 ans ; je les ai retrouvés à un festival de musique improvisée, il y a quatre ans dans le nord où Terry et Andy jouaient des duos, Terry avec Han Beninck le batteur et Andy avec Katie Duck, musicienne électronique. Ils faisaient des duos de musique improvisée, j’avais été invité pour lire les Evénements 99. On a sympathisé, on a discuté… Ils faisaient une tournée en France en juin de l’année suivante et m’ont proposé de faire la première partie.

S.D. C’était quelque chose auquel tu avais déjà pensé ?

A.J.C.Non jamais. De tourner avec The Ex ou de tourner avec un groupe de rock ?

S.D. De combiner la pratique poétique avec la scène musicale

A.J.C. C’est à peu près le rêve que tente la poésie sonore, un décloisonnement consécutif de la poésie sonore et c’est un rêve que m’a permis de réaliser The Ex. Monter sur une scène rock tout seul, jamais, et je crois que les scènes rock ne m’auraient jamais ouvert la porte si ça n’ avait pas été avec The Ex.

S.D. Parce que maintenant c’est quand même une partie de ton travail. Tu as développé les collaborations avec les artistes Catherine Jauniaux et Carole Rieussec, créé un duo avec Andy Moor et Ianis Kyriakides, et récemment écrit pour Innocent X.

A.J.C. Oui ça a ouvert un spectre ; ce festival où je côtoyais de près les musiques improvisées, ma rencontre avec The Ex et avec des musiciens d’impro, ont mis en perspective mon travail. On s’est rendu compte, les uns comme les autres, qu’il y avait véritablement un partage en termes de souci d’écriture et de direction de travail, et le travail avec The Ex a pris différentes formes, c’est à dire le travail avec le groupe, d’une part, et le travail avec Andy qui se poursuit. D’un autre côté ça m’a poussé à aller voir ce qui se passait dans la musique improvisée, des musiciens ont voulu travailler avec moi et les choses se sont mises en place…


S.D. Mais ce n’est pas toujours totalement improvisé ?

A.J.C. Pour ma part non, pour le musicien oui, mais moi j’ai des formes d’expression qui sont extrêmement rigides, qui sont très déterminées . Ce que ça m’apporte, que soit avec Andy ou Carole ou Catherine, c’est qu’ils m’obligent à des déplacements auxquels, à mon avis, je ne serais pas arrivé seul.

S.D. Quels types de déplacements ?

A.J.C. Des déplacements dans mon écriture et des déplacements dans les dispositifs que je peux avoir, par rapport aux types de textes que je travaille : comment je les fais fonctionner non plus en solo mais avec une voix, une guitare, les instruments de Carole et ensuite, comment je peux commencer à traiter une matière sonore, comment le texte et le son que je travaille s’arrangent, se composent par l’écoute, parce que c’est ça qui est fabuleux dans l’improvisation, c’est une écoute continue, un dialogue continu avec les musiciens…

S.D. Même à partir d’une forme écrite figée ?

A.J.C. Ca m’oblige à travailler différemment. Je constitue un certain nombre de matériaux textuels, sonores, que je rassemble, quelques appareils techniques aussi, quelques effets, ou des filtres plutôt, que je présélectionne. J’ai une masse de matériaux qui tourne avec le concert, ensuite, c’est en fonction de ce qui se passe dans la situation de concert que j’apporte des éléments ou pas; donc je suis dans une improvisation…arrangée. Je ne suis jamais dans l’improvisation complète, en tout cas pas pour ce qui concerne l’écriture, ce qui est lu, le texte. L’improvisation du texte est simplement dans la manipulation que je peux en faire. Je travaille toujours sur ce type de textes-là, mais je les manipule avec certains effets ou certains filtres qui font que ça les fait devenir plus sonores, du coup il y a une forme plus ouverte…

S.D. Il y a une modification de l’espace peut être ?

A.J.C. Il y a changement d’espace, de temps, de mon mode de lecture : je me mets aussi à lire différemment ; ce qui n’était pas imaginable pour moi au départ.


S.D. C’est -à -dire, ‘lire différemment’ ?

A.J.C. Ces textes-là sont des textes qui sont très difficiles à lire, on ne peut pas les lire de façon très lente, ça ne voudrait plus rien dire. Mais le travail avec les musiciens me permet de prendre d’autres angles : à la fois je peux changer le rythme et je peux le lire par ponction, prendre des passages et les développer, alors qu’auparavant je lisais du début à la fin sur le même rythme. De cette manière, ça fait bouger le texte et j’apporte aussi de nouveaux textes qui ne sont pas de la même facture, mais c’est un travail en cours.


S.D. A ce sujet, tu disais avoir des projets avec Andy Moor ?

A.J.C. On fait une tournée en juin en Hollande, en Belgique et dans le nord de la France. Il y a également l’idée de faire un disque avec Andy sur son label, Unsound, label de musique improvisée qu’il dirige avec Iannis Kyriakides un musicien de musique électronique.

S.D. Justement à propos de l’improvisation, je me demandais si tu te définissais comme un performer, ça n’apparaît jamais dans tes biographies ?

A.J.C. J’ai supprimé le terme…

S.D. On trouve toujours l’appellation de poète sonore ; pourquoi le terme de performance n’apparaît jamais, alors que le fait de monter sur scène, de s’accorder davantage de liberté en travaillant avec des musiciens, d’autant plus qui sont dans l’improvisation, est- ce que ce ne serait pas là de la performance aussi ?

A.J.C. Quand j’ai commencé, j’ai appelé ça de la performance; assez rapidement je suis revenu en arrière parce que je me suis rendu compte qu’aujourd’hui de la performance, il y en a partout. Il y a une inflation telle, que le terme ne veut plus rien dire et c’est devenu véritablement un outil de vente, un outil promotionnel. Je me suis rendu compte du phénomène de la part des structures qui m’invitent, elles, elles veulent de la performance.

S.D. C’est vendeur ?

A.J.C. C’est extrêmement vendeur, alors j’ai fait le choix du repli, je suis revenu à la lecture, sur le socle de la lecture, pour différentes raisons. Les organisateurs, eux, annonçaient toujours soit une lecture/performance soit une performance. Je pense qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pour ce qui me concerne, dans la poésie sonore, on est dans un dispositif, dans un cadrage technique qui est très important et qui réduit au minimum le spectre de la performance. Quand je fais une lecture, tout est préparé, tout est calé.

S.D. Oui, mais la performance peut parfois être entendue comme une lecture avec dispositif, non ?

A.J.C. Oui, mais à ce moment- là, je préfère le terme de poète sonore et de poésie action. Si la performance doit retrouver un sens, il faut que progressivement ceux qui disent en faire et qui n’en font pas se dégagent de ce terme - là, parce que pour l’instant il ne signifie plus rien hormis un label et, la poésie sonore comme poésie action, marie mieux cette idée qu’effectivement il y a un engagement physique. Il y a une présence physique qui est importante dans ma lecture, et qui est constitutive de la lecture, mais c’est une action qui est arrangée, préparée en amont alors que la performance peut surgir à n’importe quel moment, elle n’a pas besoin, ni de support, ni d’un cadre technique ; a priori une performance peut s’engager sans amont.

S.D. Très bien, et toujours concernant ce problème d’étiquette, j’ai lu un entretien de Nathalie Quintane dans l’Humanité, qui elle aussi travaille avec des musiciens, elle a fait un disque avec un guitariste, Stéphane Bérard ; elle disait paradoxalement se définir comme un poète visuel parce qu’elle travaille beaucoup sa mise en page et a contrario, c’est toi qu’elle citait comme l’exemple du poète sonore, pour moi, tes textes imprimés sont aussi des objets visuels très importants…

A.J.C. Oui, c’est très visuel, et là, je démarre un travail d’affiche. J’ai un travail visuel et je pense que la lecture de ces textes, elle est d’abord visuelle.

S.D. Donc l’appellation de ‘poète sonore’ est à nouveau un peu mise à mal ?

A.J.C. Il y a plein de textes que ne je lis pas…

S.D. Mais cette donnée papier, elle est importante pour toi ?

A.J.C Oui, je fais des livres ; effectivement les textes se donnent d’abord comme des objets visuels pour celui qui les reçoit. J’ai publié de nombreux textes de cette facture sans les compositions sonores et sans indiquer qu’il y avait un travail sonore derrière.

S.D. Collaborer, est-ce pour toi un attachement à la notion de collectif ? C’est une nécessité? une position ?

A.J.C. Pour moi, c’est une nécessité. Au départ je suis vraiment un 'revuiste' ; j’ai dirigé beaucoup de revues et ce qui différenciait la revue de tout le reste, c’est le collectif. J’ai arrêté les revues parce qu’à un moment, je me retrouvais seul à les faire, ça n’avait plus trop de signification .

S.D. Actuellement TIJA, n’existe plus ?

A.J.C. Non, ça n’existe plus, pendant un bout de temps, j’avais un numéro en cours qui était quasiment bouclé d’ailleurs, j’ai cru que j’allais le sortir puis je me suis rendu compte que ça n’a pas grand intérêt que de travailler seul sur ce type d’objet. Je viens du collectif d’une certaine manière, les fanzines, les revues, je les ai faits à plusieurs. C’est quelque chose qui me manque aujourd’hui de pouvoir travailler avec d’autres, c’est une manière d’accueillir des choses extérieures et soi-même de défendre des objets… Le collectif, aujourd’hui, je le pratique d’une part avec les musiciens et d’autres part en organisant des événements. Les événements que j’organise ce n’est jamais simplement de la programmation, c’est un peu comme des numéros de revue ‘live’, Sonorités serait une revue sonore. Je suis très attaché à cette notion de collectif, j’en viens; je crois que je suis un produit du collectif, dès qu’il s’absente, il me manque...

S.D. C’est une stimulation ?

A.J.C. Oui, ça fait travailler différemment et de façon complémentaire du travail solitaire qu’on peut pratiquer par ailleurs et les collaborations que je mène en ce moment, que ce soit avec the Ex ou avec des musiciens d’impro, elles me font énormément travailler et j’ai grand plaisir à les retrouver de temps en temps, à côté des lectures que je fais seul ; ce n’est pas du tout les mêmes exigences.

S.D. J’ai lu plusieurs critiques de ton travail qui mettent en avant un supposé côté morbide. Je voulais revenir sur le fait que, pour certains, tu étais un « poète mort, » que d’aligner des objets liés à la marchandise, des objets du quotidien le plus trivial, ça mettrait en avant un vide énorme… Je ne suis pas complètement d’accord.

A.J.C. Ca m’a fait un choc quand j’ai lu ce papier…

S.D. J’ai l’impression, quand j’écoute ou lis ton travail, que ce processus d’accumulation, d’énumération est davantage dans la construction, plus une réponse à l’angoisse du vide qu’un processus mortifère. On est quand même dans l’élaboration de quelque chose même si on dénonce…Je voulais savoir ce que tu en pensais.


A.J.C. Pour moi, ces textes, ces lectures n’ont rien de mortifère et il n’y a pas de dénonciation parce que, pour moi ces écritures ont une vraie valeur. En tant que langage, elles parlent, elles disent énormément de choses alors effectivement, c’est la première perception qu’on peut en avoir, elle peuvent décrire une société informatisée, une société du chiffre. Ensuite, si on en effectue une lecture, comme on le disait avant, une lecture de captation, beaucoup plus visuelle, ce sont des écritures qui racontent de choses et qui deviennent très vite fictionnelles, c’est à dire qui créent des fictions malgré tout, même si on est dans l’ultra concret, dans la très grande banalité, le fait de les aménager de cette façon là, ça peut raconter des histoires. Cette idée de mortification, j’y suis complètement opposé.

S.D. Je suis assez d’accord, comme lectrice je ne le reçois pas comme ça.

A.J.C. Ce travail - là vient aussi notamment d’une vraie adoration que je voue à Perec et un jour Jean – Michel (Espitalier) m’ a dit : « Je trouve que tu assèches Perec ». Perec conserve malgré tout un élément fictionnel, narratif, je serais donc à un degré à peine en-dessous de l’assèchement, mais malgré tout chez Perec, il y a un jeu, un élément de jeu, constitutif de certains de ses textes qui travaillent sur la liste.

S.D. Pour ma part, je ne vois pas le principe de la liste, de l’énumération comme une évacuation, un projet d’évacuation ; il y a des lacunes syntaxiques.. .qui sont à combler et alors là peut se glisser un imaginaire, de la fiction. J’irais même plus loin, je pense qu’il peut y avoir un chant, voire un certain lyrisme, positif, dans le sens où ton écriture porterait quelque chose de l’ordre du chant, de la litanie...


A.J.C. C’est aussi pour cette raison que j’ai décidé de lire ces textes de cette façon sur un ton assez monocorde et linéaire, parce que je pense que ça crée ce que tu dis, au bout d’un certain temps, ça crée une certaine lassitude auditive, du coup l’écoute se transforme et on arrive à cette idée de chant puis à partir de là on recrée une écoute visuelle : il y a des mots qui ressurgissent, on sort du texte, on y revient ; là, on peut commencer à se raconter des choses, on fonctionne plus par noms de lieux qui apparaissent ou des noms de personne qui font que c’est une autre histoire qui commence à se mettre en place, qui peut être drôle, ou pas, qui peut dire autre chose…

(S.D. Merci)